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Le racisme de Lovecraft
Publié 10 Mai 2018 par Sarah
Il y a des continents que l’on ne visite jamais, et d’autres que l’on rencontre tardivement. On ne sait pas pourquoi, mais nos premières attractions nous conduisent vers des mondes qui nous conviennent et avec lesquels on vit sans arrêt. Mais on sait qu’il en reste de nombreux, inexplorés pour nous même si d’autres, nos contemporains, les connaissent, les apprécient et en vantent les charmes. Ce phénomène est très exact en littérature, car il est extrêmement difficile de lire et de découvrir tout ce qui a été écrit par les Hommes en une vie. La lecture est une pérégrination dont finalement nous ne commandons pas, et parfois on reste des années sans lire des auteurs que tout le monde admire. C’est mon cas avec H.P Lovecraft.
Voici un auteur dont j’ai évidemment beaucoup entendu parler, mais que mon parcours de lecture ne m’avait jamais fait rencontrer. Pour un défi de lecture, j’ai décidé de découvrir Lovecraft et son monde de créatures étranges, d’angoisses et d’horreur. N’étant pas foncièrement attirée par les histoires qui font peur, cela explique également le retard que j’ai pu prendre dans ce genre de lectures.
Trahison ?
Je connais bien sûr le mythe de Cthulhu et l’influence que l’œuvre de Lovecraft a pu avoir dans le style fantastique, que ce soit en littérature comme au cinéma.
Je suis donc entrée dans cette œuvre avec un certain enthousiasme, comme à chaque fois que je découvre quelque chose de nouveau. J’ai donc commencé par la lecture de la nouvelle « Le cauchemar d’Innsmouth ».
Et là, j’ai eu comme un sentiment de trahison. Trahie par tous ces amis, ces proches qui me vantaient les délices de la lecture angoissée de Lovecraft, mais qui ne m’avaient absolument pas prévenue sur un élément pourtant évident : le racisme violent et putride de l’auteur.
J’ai pris cette nouvelle « en pleine figure » et j’avoue que cela m’a pas mal secouée. C’est comme si le monde de la littérature tout entier m’avait caché un défaut génétique pour rendre la mariée plus avenante.
H.P Lovecraft
Pourtant, l’évidence est là et dans la nouvelle, le racisme de Lovecraft se sent à des mille à la ronde comme l’odeur de poisson des créatures marines qui viennent hanter les rues d’Innsmouth. La violence de l’écriture est dérangeante et les descriptions d’êtres inférieurs, dégénérés par un métissage malsain avec des créatures sataniques, ne laissent aucun doute sur les idées politiques de l’auteur.
En refermant ma liseuse, après une lecture où, pour dire la vérité, je n’ai absolument pas été effrayée par l’histoire, mais bien plutôt par ce que je venais de découvrir, j’ai décidé de faire quelques recherches. Peut-être était-ce moi qui voyais le mal là où il n’y en avait peut-être pas, puisque visiblement personne n’en parlait !
Mais en fait si, cette tare est bien connue. J’ai donc lu d’autres textes de Lovecraft et je me suis baladée sur des forums de fans. J’ai été alors médusée par les monceaux d’excuses que tous ces participants trouvent à Lovecraft quand la question du racisme est posée. C’est culturel, c’est contextuel, lié à l’époque à laquelle il vivait : en gros, si vous étiez né aux États-Unis au début du XXe siècle, vous étiez normalement raciste, cela faisait partie de l’éducation ! Lovecraft est considéré comme un Maître, et sa haine de l’autre, son antisémitisme maladif et son amour d’Hitler ne doivent en rien venir ternir son aura. C’est pathétique !
Deux poids deux mesures
Ce qui me gène par-dessus tout ce sont les excuses que visiblement les fans et autres experts trouvent à l’auteur pour chercher à faire passer ce qui, à mes yeux de néophyte vierge de toute contamination, est pour le moins un racisme assumé et même au centre d’une œuvre qui se veut universelle.
Ce qui me gène c’est enfin le « deux poids deux mesures » que l’on pratique allègrement dans la catégorie littérature. À certains, comme Lovecraft voire Hergé, on passe cette « erreur de jeunesse », mais à d’autre beaucoup plus talentueux comme Céline ou Heidegger, leurs idées politiques doivent absolument remettre en cause la force de leurs œuvres écrites. Pourquoi ? Peut-être est-ce dû à la place des œuvres proprement dites : Lovecraft et Hergé sont des auteurs populaires, tandis que Céline est l’auteur d’une littérature d’une autre envergure, reconnue pour sa qualité et sa force ; quant à Heidegger, il est considéré comme le philosophe du XXe siècle ! Les exégèses et les exégètes de ces deux types d’œuvres ne font pas le même travail, et en écrivant cela j’ai la sensation de faire preuve, moi aussi, d’un mépris social et culturel. Pourtant, je ne vois pas pourquoi les idées racistes des uns pourraient davantage être excusées que celles des autres.
Contre le monde, contre la vie
Michel Houellebecq
Je me suis alors souvenue que Michel Houllebecq avait écrit, au début de sa carrière, un petit livre sur H.P Lovecraft : Contre le monde, contre la vie. J’apprécie beaucoup Houellebecq, son personnage cynique et sa littérature qui elle aussi se veut « contre le monde, contre la vie ». Si Houellebecq a écrit ce texte sur Lovecraft c’est parce qu’ils sont unis dans leur fatigue congénitale et leur dégoût du monde, des Hommes, de la vie. Ce que j’ignorais de Lovecraft : comme Schopenhauer, comme Cioran, comme Artaud, il ne sait pas vivre dans ce monde, car il a cette conscience aiguë du Mal et de la souffrance qu’est la vie sur terre.
« Peu d’êtres auront été à ce point imprégnés, transpercés jusqu’à l’os par le néant absolu de toute aspiration humaine. L’univers n’est qu’un furtif arrangement de particules élémentaires. Une figure de transition vers le chaos. Qui finira par l’emporter. La race humaine disparaîtra. D’autres races apparaîtront et disparaîtront à leur tour. […] Et les actions humaines sont aussi libres et dénuées de sens que les libres mouvements des particules élémentaires. Le bien, le mal, la morale, les sentiments ? Pures « fictions victoriennes ». Seul l’égoïsme existe. Froid, inentamé et rayonnant. »
Emil Cioran
Dans son livre Houellebecq est très honnête et parle sans fard du racisme de Lovecraft. Il ne l’excuse pas, mais l’explique : selon lui se serait son séjour de quelques années à New York, après son mariage, qui aurait transformé un mépris de classe et de race d’un WASP déclassé en haine totale des noirs et des immigrés venus voler la dignité des blancs. Lovecraft aurait été confronté à la pauvreté rude dans une ville-monde où trouver du travail n’est pas facile quand on ne sait qu’écrire et lire. Il aurait été en concurrence avec ces nouveaux venus dégénérés et en rentrant chez lui, à Providence, il aurait manifesté cet échec en haine raciale dans ses nouvelles les plus célèbres.
« New York l’aura définitivement marqué. Sa haine contre l’ »hybridité puante et amorphe » de cette Babylone moderne, contre le « colosse étranger, bâtard et contrefait, qui baragouine et hurle vulgairement, dépourvu de rêves, entre ses limites » ne cessera, au cours de l’année 1925, de s’exaspérer jusqu’au délire. »
Arthur Schopenhauer
Pour Lovecraft, comme pour Houellebecq, la réalité du monde, sa puanteur et son manque total de sens, les rendent inaptes à la vie sociale, économique et politique. Pourtant, comme Cioran, comme Schopenhauer, comme Artaud, ils ne savent pas affronter vraiment ce Néant, puisqu’ils écrivent. En effet, savoir que tout est néant cela ne veut pas dire savoir s’y abandonner.
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Il y a trois postures possibles quand on est atteint de cette terrible lucidité. La première est le suicide, qu’il soit physique ou social, c’est-à-dire renoncer au monde par exemple dans l’érémitisme ou vivre hors du monde, par exemple dans une cabane dans la forêt. La seconde est la haine du monde et des autres comme des repoussoirs et des exutoires à la douleur de la vérité. Enfin, la troisième posture est celle de l’indifférence, stoïcienne, sceptique ou bouddhique.
Ces trois attitudes face au néant de la vie sont complémentaires et on peut (sur)vivre en pensant toujours au suicide tout en cherchant l’indifférence apaisante. On peut aussi décider d’écrire pour éviter le pire et faire semblant que tout va bien.